Entre fidélité et incarnation : quelle place pour l’audiodescription ?

Il y a quelques jours, lors d’une projection privée d’une œuvre française récente, j’ai été particulièrement interpellé par un détail singulier dans l’audiodescription. Plutôt que de suivre la neutralité escomptée, la narration adoptait un registre familier – des expressions telles que : “il lève son flingue”, “elle s’engouffre dans la bagnole” se mêlaient aux images. Ce choix, loin d’être anodin, a éveillé en moi une réflexion inattendue. Jusqu’alors, j’avais toujours perçu l’audiodescription comme une canne blanche du cinéma, un fil d’Ariane discret et objectif permettant de se frayer un chemin à travers l’image. Pourtant, ici, elle semblait revêtir une autre dimension, oscillant entre la transmission fidèle et une forme d’appropriation stylistique. Une subtilité qui, au fil du visionnage, a nourri ma perception de sa véritable vocation, au point de susciter en moi l’élan d’écrire cet édito.

Sobriété et incarnation : des visions contrastées

A ma connaissance, l’emploi d’un registre familier constitue l’apanage de certaines productions françaises, tandis que nombre d’œuvres étrangères semblent privilégier une neutralité mesurée. À titre d’exemple, Apple TV+ se distingue par la finesse et la délicatesse de ses descriptions, lesquelles s’intègrent discrètement à l’atmosphère du film sans chercher à l’imiter dans sa globalité.

En revanche, certains diffuseurs – notamment Netflix – ont parfois opté pour des voix de synthèse dans leurs audiodescriptions en français. Si ce choix, motivé par des impératifs économiques, peut se justifier, il soulève néanmoins des interrogations quant à sa capacité à instaurer une véritable communion avec le spectateur. En effet, ces voix artificielles, souvent dépourvues de la chaleur et des nuances inhérentes à l’expression humaine, tendent parfois à empiéter sur les dialogues et à perturber l’équilibre narratif de l’œuvre.

Ces observations, présentées sans prétention d’exhaustivité, visent à mettre en lumière la diversité des approches actuelles, chacune présentant ses atouts et ses limites.

L’enjeu du mixage et de la spatialisation sonore

La qualité d’une audiodescription ne se mesure pas uniquement au choix des mots, mais également à la manière dont elle s’intègre dans le traitement global du son. Dans plusieurs productions françaises, elle est encore ajoutée en stéréo, en post-production, conférant parfois à la voix une impression de détachement par rapport au reste du mix.

En revanche, certaines plateformes, à l’image d’Apple TV+, privilégient une intégration directe dans un mixage multicanal – voire en Dolby Atmos. Ce procédé, d’une élégance technique incontestable, permet à la narration de se fondre avec finesse dans le rendu sonore du film, renforçant ainsi l’immersion du spectateur. Un exemple particulièrement réussi est The Gorge, récemment proposé sur Apple TV+ en Dolby Atmos. Dans ce film, l’audiodescription s’intègre avec grâce à la trame sonore et sublime les nombreuses séquences dépourvues de dialogue.

Vers une évolution harmonieuse de l’audiodescription ?

Faut-il alors chercher un équilibre entre ces différentes approches ? La question, à la fois complexe et nuancée, mérite d’être posée sans dogmatisme. Il ne s’agit pas de décrier le travail des professionnels, dont l’engagement pour rendre le cinéma accessible est incontestable, mais d’identifier les pistes d’amélioration susceptibles d’affiner cet outil précieux. L’idéal serait d’aboutir à une écriture qui, tout en demeurant sobre, capte l’essence émotionnelle de l’œuvre, conjuguée à un traitement sonore qui intègre la narration de façon organique.

En définitive, cette réflexion ouvre un débat constructif sur le rôle de l’audiodescription : doit-elle se limiter à être un simple vecteur d’information, ou s’enrichir d’une dimension artistique complémentaire ? Un débat qui reste ouvert, et auquel chacun peut apporter sa pierre. J’invite donc ceux qui le souhaitent à partager leurs impressions et à nourrir cette réflexion sur un outil en perpétuelle évolution, qui façonne chaque jour notre rapport aux œuvres audiovisuelles.

Kevin

5 réflexions sur « Entre fidélité et incarnation : quelle place pour l’audiodescription ? »

  1. Encore un édito génial, comme toujours !
    On peut déjà souligner que l’audio description se démocratise vraiment, ce malheureusement, pas encore le cas au cinéma… Mais à la télé, sur les plates-formes, il y a quand même un travail énorme qui est effectué.
    Effectivement, Apple joue encore la carte de l’excellence sur ce sujet ! Tout comme leur contenu est vraiment de qualité, la firme, n’hésite pas à dépenser un budget colossal pour que tout soit parfait. Y compris donc l’audio description ! On ne peut pas rêver mieux en terme d’ambiance, de mixage, de sobriété, de qualité Dans le récit ! Effectivement, on reste sur une neutralité du pro.
    Netflix a quand même effectué un travail énorme. Là aussi, j’ai pu redécouvrir quelques films et quelques séries, en profitant de nombreux détails qui m’auraient certainement échappé. Évidemment la lecture de l’audio description avec des voix de synthèse N’est pas optimal… Une voix qui manque d’humain, de ponctuation, en plus, un mixage qui fait remonter le son à chaque fois… On peut dire que ça a au moins le mérite d’exister, il y a tellement de contenus que financièrement, c’est plus intéressant… C’est quand même bon signe que pour des œuvres majeurs de la plate-forme comme la dernière saison de Squid game par exemple, Netflix joue quand même le jeu de nous laisser une véritable voix de comédien. J’ai par exemple beaucoup aimé l’audio description sur la plate-forme du film sous la scène avec les requins à Paris ! J’ai trouvé la lecture de cette audio, description hyper Immersive, ce n’était pas qu’une voix d’un comédien qui faisait la description, c’était véritablement l’ombre d’un comédien qui jouait avec nos sensations, qui ne ne laissait pas perdre le fil de l’angoisse, du suspense, des fois, il parlait fort, des fois il chuchotait, j’ai trouvé vraiment cette immersion avec le dos. Description incroyable !
    L’eau de description peut parfois nous gâcher des moments, vous avez déjà regardé un film d’horreur en haut de description ? On ne coupe totalement l’effet de surprise de chaque séquence, car la plupart du temps on va nous dire à l’avance, si quelqu’un se cache quelque part, si un monstre va lui foncer dessus, etc.… À titre personnel, je pense vraiment qu’une aux deux description Immersive qui s’intègre complètement à l’œuvre serait le mieux, la neutralité c’est Sympa, mais ça peut vite être pénible et prendre la tête… Trop de détails tu le détail et cela nous enlève du plaisir de suivre un film ou une série.
    Pour conclure, je pense quand même que nous allons dans le bon sens avec une belle adaptation et un vrai travail pour l’accessibilité dans ce domaine. C’est déjà bon signe.

  2. Bonjour Kevin, et merci pour cet édito qui soulève un problème important.
    Je voudrais commencer par attribuer un prix d’excellence au récents James Bond, malheureusement audio décrit uniquement lors de leur passage sur France 2, et impossible à retrouver ensuite. Mais le travail réalisé ici est absolument merveilleux, et j’espère que certains d’entre vous ont eu la chance de pouvoir les écouter.
    Étrangement, nombre d’audio descriptions ont tendance à m’endormir. Leur voix est si monocorde qu’elles ont sur moi un effet hypnotique, il faudrait peut-être que je regarde des choses sur Apple TV+, ce que je n’ai pas eu le temps de faire hélas.
    Je déplore aussi assez souvent un mixage Fait à l’emporte-pièce, en particulier avec l’utilisation d’un procédé qu’on appelle le ducking, qui consiste à faire baisser le son du film automatiquement lorsque la voix décrit quelque chose puis le faire remonter ensuite. Ça évite de se prendre la tête à réaliser un mixage harmonieux, mais c’est très désagréable.
    Enfin, j’aurais aimé que sur nos appareils, existe un moyen très rapide d’interrompre et de relancer l’audio description, un peu comme VoiceOver sur les appareils Apple, il m’arrive en effet assez souvent de vouloir réécouter une scène non audio décrite, pour mieux en apprécier l’ambiance et en particulier La Musique.
    Bien à vous tous,
    Jean Philippe

  3. Perso, je préfère que l’audiodescription demeure la plus factuelle possible.
    On a déjà pas mal de choses à gérer au sein de l’œuvre elle-même.
    Et si les ingénieurs du son qui mixent les productions françaises pouvaient enfin se mettre à la page et cesser de nous proposer uniquement des pistes AD en stéréo (y compris sur support physique où la piste principale est bien souvent en DTS-HD multicanaux), ce serait déjà un grand pas en avant.
    Après tout, si les plateformes de streaming se donnent cette peine, pourquoi pas eux ?

    Merci pour cet édito en tout cas. 🙂

  4. À ce propos, je tiens à souligner l’exécrable évolution de la prise en charge de l’audio description sur les chaînes Canal+ dans myCANAL. Si celle-ci est de plus en plus présente y compris dans les programmes à la demande, je constate qu’elle est toujours proposée en stéréo alors que depuis quelques temps le format est constamment émis en multicanal ce qui génère évidemment une incompatibilité sonore lorsqu’on utilise un home cinéma.

  5. Bonjour Kevin, bonjour à tous,
    Toujours aussi sympathique de te lire. Étant un grand consommateur d’AudioDescription au Cinéma, et sur la plate-forme Apple TV, depuis une dizaine d’années, je suis plutôt content de voir les améliorations qui ont été faites. Même s’il reste toujours des choses à améliorer. Pour ma part, je préfère largement les AudioDescription qui se fondent dans l’ambiance du film. Je trouve cela plus sympathique, cela m’aide beaucoup mieux à rentrer dans le film.
    Je me permets de partager cette demande de bétatesteur de la part du ministère de la culture, concernant l’AudioDescription justement. Je ne sais pas si il y a d’autres personnes qui étaient au courant.
    J’espère que cela ne te dérange pas. Si tu veux, je peux mettre cela sur le forum. Une très bonne journée à tous.
    Le Ministère de la Culture développe une plateforme numérique pour faciliter l’accès à l’audiodescription des films de cinéma pour tous les usagers, en particulier les publics déficients visuels.

    L’équipe en charge du projet recherche des bêta-testeurs et testeuses pour découvrir en avant-première le service, donner leur avis et suggérer des améliorations.

    En pratique, il s’agit de participer dans les prochaines semaines à une session de test de 30 à 45 minutes, soit en présentiel à Paris, soit par visioconférence, pour découvrir la plateforme en direct et échanger avec une personne de l’équipe. Il n’y a rien besoin de préparer, il faut simplement se munir de l’appareil avec lequel vous avez l’habitude de naviguer sur internet, avec idéalement la possibilité de partager votre écran pour permettre de suivre votre navigation à travers le site.

    Pour participer, envoyez un e-mail à contact@audiodescription.beta.gouv.fr en vous présentant très brièvement et en indiquant les moments où vous êtes généralement disponible pour organiser cet échange.

    L’équipe en charge du projet vous remercie d’avance pour votre précieuse contribution !

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