Edito : Sois aveugle et tais-toi !

Lorsqu’on interroge les personnes voyantes au sujet des handicaps qui les angoissent le plus, la cécité l’emporte haut la main. D’une certaine façon, ce n’est guère surprenant à une époque comme la nôtre où l’image revêt une telle importance au point que même les radios traditionnelles se sont mises à filmer leurs émissions pour mieux les diffuser sur internet. Une situation antinomique qui, à bien des égards, illustre à merveille ce changement de paradigme où la forme importe plus que le fond.

Lors d’une conversation à bâton rompu sur FaceTime avec des connaissances déficientes visuelles et valides, nous avons entrepris de réaliser un florilège des remarques désobligeantes que nous subissons de la part des personnes voyantes. Voici un petit condensé de ces fameuses réflexions, en espérant que cela en fera méditer quelques uns et les incitera davantage à faire preuvE d’ouverture d’esprit envers celles et ceux qui sont différents d’eux.

Sommaire

La femme qui voulait se maquiller

Dans une boutique de mode qui a pignon sur rue, une femme aveugle arpente les rayons en compagnie d’une amie. Deux vendeuse les interpellent au cas où elles auraient besoin de conseils. La demoiselle qui ne voit pas en profite pour les questionner sur une gamme de produits de maquillage et l’une des vendeuses lui rétorque : “mais de toutes façons, vous ne vous voyez pas dans un miroir, alors à quoi bon vous embêter à vous maquiller ? Ne vous inquiétez pas, vous êtes naturellement jolie et on ne vous en tiendra pas rigueur si c’est pas au top niveau !”

Aveugle et demandeur d’emploi, ça ne va pas de soi

Lors d’un entretien à Pôle Emploi, un jeune-homme aveugle se plaint auprès de son conseiller sur le fait que malgré son pedigree universitaire et sa détermination à vouloir trouver un travail à tout prix, il est toujours au point mort en dépit des différents entretiens avec des DRH. Le fameux conseiller lui assène : “Vous savez, il y a beaucoup de gens qui aimeraient être dans votre situation à toucher des allocs et à rester chez-eux. Alors pourquoi vouloir changer cette situation au fond ?”

La femme qui voulait prendre le taxi

En sortant d’un building, une jeune-femme aveugle accompagnée de son chien guide s’apprête à prendre le taxi qu’elle avait soigneusement commandé au préalable, insistant bien sur le fait qu’il s’agit d’une personne à mobilité réduite (PMR) et qu’elle a un compagnons quadrupède. En arrivant, le taxi baisse la vitre pour lui demander si elle est bien la maîtresse de ce gros labrador. Après qu’elle lui a confirmé ce fait, le chauffeur a pris la poudre d’escampette, sans même demander son reste.

Le couple et le parc

Par un bel après-midi ensoleillé, un couple (dont la femme est aveugle) se promène tranquillement main dans la main en compagnie de leur enfant dans un parc. L’espace d’un instant, le petit garçon leur fausse soudainement compagnie pour examiner un oiseau à basse altitude de plus près. Au même moment, un inconnu passe à proximité du couple et l’interpelle en ces termes : “pauvre petit, ça doit pas être facile d’avoir une maman qui ne voit rien, vous avez beaucoup de courage mon bon monsieur !”

L’aveugle et la DRH mal avisée

Suite à une campagne de recrutement en vue de l’implantation d’une nouvelle entreprise dans sa ville de résidence, un jeune-homme aveugle est retenu pour un entretien d’embauche. Tout se déroule parfaitement bien jusqu’à ce que la DRH aborde son handicap. Au cours de cet entretien, le jeune-homme apprendra notamment que l’entreprise n’a pas vocation à procéder à des adaptations de postes pour une personne aveugle en raison de la complexité de la myriade de logiciels nécessaires pour ce poste (sic). Et comme si le coup n’était guère suffisant, elle acheva l’entretien en ces termes : “Franchement, je ne comprends pas qu’avec votre handicap on ait pu vous dire de venir ici !”

Le jeune qui voulait être avocat

Un adolescent aveugle se présente à un rendez-vous avec sa conseillère d’orientation pour parler de ses souhaits en matière d’études supérieures. Ils évoquent tous deux les débouchés en fonction de la filière qu’il choisira. Lorsqu’il lui fait part de son grand intérêt pour le métier d’avocat, la conseillère lui déclare : “Tu sais, ce n’est pas une bonne idée, tu ne pourras pas voir si tes clients te mentent ou te disent la vérité !”.

Tous les déficients visuels sont forcément des potes

Lors d’un passage dans une boulangerie, une personne non-voyante rencontre une connaissance qui l’interpelle en ces termes : “Au fait, j’ai croisé ton pote tout à l’heure”. Après quelques échanges pour en savoir plus, il s’est avéré que ce n’était nullement son pote mais simplement une autre personne déficiente visuelle et cette nomination s’est uniquement faite pour cette raison. Comme si des individus devraient être potes sous prétexte qu’ils ont le même handicap…