Édito : Déficience visuelle et abus de langage

Le week-end dernier, j’ai fait par hasard la connaissance d’une jeune-femme très sympathique avec laquelle nous avons eu de longues discussions tantôt passionnelles. Pour les besoins de cet édito, nous l’appellerons Chloé. La demoiselle étant voyante (ou valide, c’est selon), je n’ai pas pu échapper aux traditionnelles questions inhérentes à mon handicap visuel. Au fil de nos échanges, j’ai constaté que Chloé usait inconsciemment de certains termes comme ceux que l’on croise fréquemment dans les médias et même dans les propos de gens de notre entourage proche. Du coup, je me suis dit que cela pourrait être pertinent de remettre un peu les pendules à l’heure à ce sujet :

  • Un mal-voyant, c’est quelqu’un qui voit mal, ce n’est pas un aveugle. Le fait de qualifier une personne atteinte de cécité de mal-voyante n’a donc pas vraiment de sens, tant sur le plan médical que sémantique.
  • Le mot aveugle n’est pas un gros mot, il indique simplement qu’il s’agit d’une personne privée du sens de la vue. Certes, de nos jours on lui préfère davantage le mot “non-voyant”, mais ce n’est rien d’autre que du politiquement correct, comme l’ouvrier que d’aucuns appellent pudiquement “un opérateur de production”, ou encore cette assistante commerciale qui n’est ni plus ni moins qu’une secrétaire. Tant qu’à continuer sur cette voie, ne faudrait-il pas qualifier les imbéciles de “non-pensants” ?
  • Bien que nous soyons déficients visuels, on ne se prive pas de se servir des termes “voir”, “regarde”, “t’as vu”, etc. pour autant. Cela peut notamment s’expliquer par le fait que l’on évolue au sein d’une société qui accorde une importance capitale au sens de la vue, bien souvent au détriment des autres sens et qu’utiliser ces termes constitue une façon de s’intégrer à cette société. Or lorsqu’une personne voyante tente de les dissimuler sous prétexte qu’elle est au contact d’une personne aveugle, cela a pour effet de créer un sentiment de malaise la renvoyant irrémédiablement à son handicap, avec le raisonnement qui peut en découler pour peu qu’elle soit complexée par ce dernier.

Depuis ces quelques précisions, Chloé ne me qualifie plus de mal-voyant dans nos conversations. Pour finir, je rappellerai simplement cette citation de Saint-Exupéry sur laquelle il conviendrait de méditer : “On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.”

21 réflexions sur « Édito : Déficience visuelle et abus de langage »

  1. Salut kevin pour ma part j’utilise toujours le terme regarder un film etc. Malgré que je ne vois pas pour le terme malvoyants c’est pas la faute peut-être à Chloé c’est certainement ce que tout le monde communique sur les médias et dans la vie de tous les jours

  2. Absolument ! Ralbol des excuses pour avoir dit aveugle ou quand se voit on ! Ce sont les excuses qui nous excluent, plus que les mots.

  3. “Ce programme est disponible en audio description pour les malvoyants.” Voici ce que l’on peut entendre lors des bandes-annonces des programmes sur une grande chaîne nationale. Ça veut dire quoi ? Que les aveugles n’ont pas le droit de regarder ce programme ????

  4. Par définition, une déficience est une faiblesse, une diminution, une insuffisance. Ce qui signifie que chez un déficient visuel, la fonction visuelle existe, mais de façon insuffisante, faible, diminuée… Autrement dit, être déficient visuel, c’est également être malvoyant. Le terme qui regrouperait malvoyant et aveugle serait”handicapé visuel”.

    1. “En France, une personne aveugle est réglementairement une personne dont l’acuité visuelle du meilleur œil après correction est inférieure ou égale à 1/20e. Cette personne a droit à une carte d’invalidité sur laquelle on appose la mention “étoile verte”.” Par conséquent, la déficience visuelle inclut également les aveugles, d’ailleurs certains ophtalmologues parlent de “déficience visuelle totale” pour qualifier une personne atteinte de cécité.

    2. Il y a une différence entre la déficience et le handicap:

      La déficience regroupe toute altération physique, intellectuelle, ou sensorielle pouvant faire l’objet d’un diagnostic médical.
      Les SITUATIONS DE HANDICAP sont engendrées par les obstacles (physiques, psychologiques, technologiques, administratives, etc) rencontrées par les personnes présentant une déficience.

      Ainsi, une personne ayant une déficience n’est pas handicapée pour suivre une émission de télévision si celle-ci est offerte en vidéo-description ou avec sous-titrage car ces moyens viennent palier au handicap.

  5. Tout est dans le terme “règlementairement”. Si l’on se base sur la classification de l’OMS, qui sert de base aux règles administratives, alors oui, une personne aveugle peut avoir une vision effective. Alors oui, on peut qualifier d’aveugle quelqu’un qui en réalité voit un peu, et de malvoyant, c’est à dire déficient visuel, quelqu’un qui n’a aucune vision. C’est justement ce qui crée la confusion dans les esprits car les gens son très rarement au courant de cette subtilité et finissent par prendre les mots aveugles et malvoyants comme des synonymes. En anglais, on parle de “legal blind”, “aveugle légal”, qui permet de faire la différence entre aveugle au sens de l’OMS et aveugle au sens littéral du terme, c’est-à-dire le préfixe “a” privatif suivi de “veugle” qui veut dire vue.

  6. Merci pour ce petit article ! Le dernier point de la liste est le plus important à mes yeux (tiens une expression qu’on utilise tous je pense 😉 ), même si j’ai accepté complètement accepté mon handicap, j’ai toujours du mal avec les gens qui nous remettent notre handicap dans la tête ! D’ailleurs j’ai eu la cas ou la personne finissait ses phrases par “tu vois ce que je veux dire” et ensuite me disait “sans mauvais jeu de mots” et au bout de la troisième fois, j’ai craqué ! Et j’avoue que certaines fois j’utilise le terme aveugle avec certaines personne qui ne veulent pas comprendre que même si j’utilise une canne blanche pour me déplacer et que j’ai une acuité visuelle de moins de 1/20 ème, je vois encore un peu ! Du coup je cherche pas forcement à leurs expliquer !

  7. Bonjours, je suis aveugle et j’ai des amis voyant. Souvent, quand je dis par exemple que j’ai vu tel film ou telle émission à la télé, je m’entends dire: comment tu fais pour voir? à ce moment-là, je me dis: ah, c’est vrai que tu es handicapée… Du fait, sur les réseaux sociaux, je n’ose pas dire à mes amis que je suis déficiente visuelle, non pas par honte, mais par peur d’être rejetée par eux… Le handicap est encore tabou pour certain, surtout lorsqu’on ne connait pas la personne…

  8. Je rajouterais aussi si j’utilise toujours le terme voir regarder etc. Malgré que je ne vois pas c’est aussi parce que auparavant je voyais parfaitement et non pas parce que j’accepte pas mon handicap et moi ma façon de penser ce que j’aborde toujours les choses avec humour je déteste faire la morale aux gens!!! Une petite idée que je lance il faudrait peut-être faire une radio libre avec des sujets comme celui-ci pour en débattre une fois par mois par exemple ?

  9. Je suis moi-même aveugle, et effectivement j’utilise énormémant de termes que les valides utilise pour parler d’images, de vidéo ou de télévision. pour moi, cela est juste logique. rien à voir avec l’handicap. Une simple question de logique verbal. on regarde la télé, on écoute la radio. enfin une question de logique. quel mal y-a t-il?

  10. Il y a aussi les gens qui mélangent tout : “Est-ce que tu arrives à monter les escaliers seule ?”, “Tu parles la langue des signes ?” (j’ai vraiment entendu ça un jour.)

  11. Très bon article.

    À l’aéroport, au service d’assistance, j’ai appris que l’on avait mis «blind» sur mon billet, j’ai donc corrigé : je suis malvoyante. Non, ça se sont les aveugles, ils aiment pas qu’on disent «aveugle». Euhhhh ?! Donc quand on ne voit rien, on est qqn qui voit mal et quand on voit mal, on est qqn qui ne voit rien ?! Là va falloir qu’on m’explique !

    1. Merci.
      Eh oui, malheureusement, il y a également des handicapés visuels qui contribuent à entretenir cette confusion, bien souvent parce qu’ils sont complexés par leur handicap…

  12. On pourrait aussi ajouter un aveugle ou un déficient visuel n’est pas forcément sourd-aveugle et sourd déficients visuels qu’il est dotéde la parole et peux répondre
    Je suis parfois fatigués qu’on parle à mon chien-guide, à mon conjoint, ou qu’on parle à la troisième personne en c’adressant à moi… Je porterai volontiers un écriteau sur mon chien qui dirait : « moi je guide ma maîtresse mais je n’ai pas pour rôle de vous faire la conversation et encore moins de répondre à vos questions. Par contre elle elle peut le faire…” »
    Aussi, je devrais avoir l’audace après avoir subi leur interrogatoire, de leur adresser le même. Et souvent ils ne répondent pas…

  13. Je comprends pas pourquoi dire que il y a des déficients visuels qui entretiennent cette confusion quelle drôle de jugement il faut pas confondre les barèmes que donne la mdph pour nous qualifier soit d’aveugles ou de malvoyants et la réalité des choses

  14. Je vous trouve un peu durs avec ces pauvres voyants qui nous connaissent si mal.
    Lorsqu’ils emploient ou entendent de notre part le mot voir au sens figuré comme dans, quand est-ce qu’on se voit, ils sont brusquement ramenés au sens propre de ce mot, et ils craignent d’avoir choqué, oubliant que nous aussi, comprenons ce mot au sens figuré. Et oui, les voyants aussi ont le droit d’être bêtes.

  15. Un sujet intéressant Kevin.
    Techniquement, je suis malvoyante mais parfois cela m’arrive que quelqu’un parle de moi comme étant aveugle (Lors d’une demande d’assistance à l’aéroport par exemple) et dans ce genre de situation, cela ne me dérange pas car au final j’obtiens tout de même de l’aide. Mes amis proches et ma famille savent faire la différence.
    Je pense que certains journaux ou autres médias parlent de malvoyants plutôt que d’aveugles car ils se rattachent au visuel, même faible plutôt que Aveugle sans perception visuelle qui leur ait très difficile de concevoir.
    Enfin, peut être ne pas oublier que dans le mot Malvoyant il y a le mot Mal et que le Malvoyant n’est ni Voyant, ni Aveugle mais quelquepart entre les deux qui peut parfois être difficile.

  16. Certes “aveugle” et “non voyant” ont la même signification en théorie, mais en pratique c’est le mot “aveugle” que l’on emploie souvent lors d’humour un peu limite, ou encore ce même mot pour pointer quelqu’un du doigt dans la rue avec une intonation pas toujours des plus agréables ; donc je pense que c’est pour cela qu’aveugle” est connoté péjorativement par rapport à non voyant. Ce n’est pas la définition qui change, mais c’est l’intention qui est mise derrière le mot et que l’on ressent. Un peu comme pour “vieux” ou “personne âgée”, bien sûr je parle de façon général, il y a toujours des exceptions… 🙂

    Du reste, disons que de façon concrète il est vrai qu’en tant que non voyants nous ne regardons pas la télé, mais nous l’écoutons. Nous ne voyons pas quelque chose, nous l’entendons ou nous la percevons ; et beaucoup de voyants mettent un point d’honneur à ne surtout pas faire la confusion pour ne pas nous blesser. Mais c’est finalement l’inverse qui se produit, en tout cas pour ma part ; j’utilise les mêmes mots que tout le monde, je dis que je regarde un film, ou que je vais jeter un oeil à un article par exemple, parce que j’ai grandie et évoluée avec des voyants et que ces mots me paraissent tout à fait naturels, je les emploie même avec d’autres personnes qui sont aveugles. C’est quand on me fait remarquer ces “abus de langages” que je me sens renvoyée à mon handicape de façon un peu injuste alors que j’avais juste envie de discuter d’un sujet lambda tel qu’un film que j’ai bien aimé par exemple ou que sais-je d’autre…

  17. Certains déficients visuels sont agacés, lors de leurs échanges avec les voyants, par l’emploi de manière excessive de termes évoquant la vision. Cette propension à l’emploie répété de « tu vois » « vous avez vu », « c’est clair » est ressenti comme un abus de langage.
    Comment expliquer ce ressenti du déficient visuel?
    Peut-être, parce que le recours à « tu vois », « tu as vu », n’a ou n’a plus aucun sens et, qu’il peut traduire, certes, un manque de délicatesse de la part de l’interlocuteur voyant.
    Cette incompréhension peut nuire à la qualité de l’échange. Mais ce ressenti n’ouvre-t-il pas les portes de l’inconscient?
    Comment expliquer ces emplois inappropriés par les voyants lors de leurs échanges avec les aveugles?
    La raison principale, me semble-t-il, est la propension que chacun d’entre nous a à manquer de rigueur et à user d’expressions qui ont envahi notre langage, sans que nous en ayons conscience et, qui le plus souvent n’apportent rien à la précision du message.
    Qu’est-ce qu’un abus de langage?
    Un abus de langage est le fait d’employer un mot en le détournant de son sens de façon incorrecte, ou l’employer dans une acception critiquée. « Force est de constater », « qu’au jour d’aujourd’hui » nous employons « à l’insu de notre plein gré » des formules qui cherchent à masquer un silence.
    Le silence est totalement banni, surtout à la radio où à la télévision, il faut remplir l’espace avec de nombreux mots destinés à prolonger la phrase.
    Employés de manière répétitive, ces mots, ces formules sont repris par tous et, deviennent des tics.
    Ils constituent une complicité dans un groupe social donné, une génération particulière. «C ‘est grave », « c’est trop bien » « je gère » sont caractéristiques de notre époque. D’autres termes employés comme « point barre », « c’est notre A.D.N », « le curseur », « logiciel » renvoient à un groupe social.
    Il en va de même pour « vachement, bidonnant » qui sont des expressions d’une autre époque. Je vous laisse le soin de découvrir les mots, familiers ou non employés pour parler de notre personne ( application: antidote).
    Le contenu du discours est dévalorisé au profit d’une certaine complicité de langage et, bien naturellement, elle peut faire défaut au non-voyant lorsque les expressions « alors tu vois » « regarde ce qui s’est passé » sont employées car elles ouvrent une problématique personnelle.
    Jeudi 7 septembre 2017, dans l’émission des « Grandes Gueules » Fatima Ait Bounoua commençait son intervention en rappelant cette phrase qu’elle prête à Albert Camus: « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » mais qui serait en fait de Brice Parain, à propos du livre de son ami, Albert Camus « L’homme révolté ». La citation venant étayée ce désagréable penchant qui consiste à recourir à un mot ou une expression qui n’exprime pas la juste réalité d’un fait ou d’une situation ainsi:
    – L’euphémisme lors de l’emploi du mot « incivilité » pour évoquer un fait de délinquance.
    – « les arabes et les noirs de banlieu » usage d’un tout pour parler d’une personne bien spécifique: antillais, malgache, malien. Le terme arabe est bien imprécis. Le terme « beurette » diminutif du mot beurre en verlan qui a en plus une connotation sexiste.
    – la « fachosphère » qui peut venir qualifier tout un chacun à partir du moment ou il s’oppose à son interlocuteur.
    L’emploi par la sphère médiatique (radios, réseaux sociaux) d’un vocabulaire qui paraît neutre mais cache d’autres opinions ne peut qu’être un frein aux dialogues et à mise en avant de la vérité, de plus, bien nommer les choses contribuerait à apporter du bonheur à celles et ceux qui souffrent dans leur chair.
    « Pensez vrai, agir juste voilà un objectif qui pourrait apparaître sur toutes les pages des réseaux sociaux ».

Les commentaires sont fermés.