L’accessibilité chez Microsoft : il reste encore beaucoup à faire

Écrit par Curtis Chong et traduit de l’Anglais par Alain Bardet. Cet article est paru dans « The Braille Monitor » Vol. 58, No. 4 – Avril 2015, magazine mensuel édité par la « National Federation for the Blind » (NFB).

Note de l’éditeur : Curtis Chong est président de la fédération nationale des aveugles informaticiens et à ce titre il est aux premières loges lorsqu’il est question de problèmes techniques et qu’il convient de proposer des solutions, des moyens détournés ou des démarches visant à résoudre des problèmes empêchant les aveugles d’être aussi productifs qu’il le faut pour être compétitifs. Du fait que l’essentiel du marché des ordinateurs de bureau et des ordinateurs portables est dominé par les produits Microsoft et que cette marque a acquis plus d’expérience en matière d’accessibilité que les autres sociétés, il ne faut pas s’étonner que le président de la division informatique entende souvent parler de la frustration des utilisateurs, de perte d’emploi et de possibilités jamais exploitées.

Bien que nous soyons actuellement engagés dans un dialogue avec Microsoft qui devrait se traduire par des progrès en matière d’accessibilité, cet article trouve sa raison d’être en exprimant la frustration ressentie par les personnes, adhérentes ou non, lorsqu’elles s’efforcent d’utiliser des produits indispensables chez elles, à l’école et sur leurs lieux de travail. Voici ce qu’en dit Curtis :

Il ne fait aucun doute que les produits Microsoft sont aujourd’hui largement utilisés dans presque tous les aspects de la vie. La majorité des employeurs dans le pays (États-Unis) exige que leurs employés utilisent des programmes de Microsoft (en particulier les programmes faisant partie de Microsoft Office) pour effectuer des tâches quotidiennes telles que l’envoi et la réception de courriels, la création et l’édition de documents, l’administration de bases de données, la gestion de projets et ainsi de suite. À la maison, nombreux sont ceux qui utilisent des ordinateurs individuels fonctionnant sous le système d’exploitation Microsoft Windows et peut-être Microsoft Office. Chez mon médecin, j’entends systématiquement le clic de la souris lorsqu’il examine mon dossier avec un ordinateur tournant sous Microsoft Windows. Même si les ordinateurs fabriqués par Apple gagnent probablement des parts de marché, les programmes Microsoft restent néanmoins très présents dans notre quotidien. Pour ceux d’entre nous qui sont aveugles, l’accès aux produits de Microsoft n’est pas simplement quelque chose que nous aimerions obtenir. Bien plus, un accès non visuel complet aux produits Microsoft est essentiel si nous voulons avoir une chance de rivaliser sur un marché du travail axé sur la technologie, sans parler de rester sur un pied d’égalité avec nos voisins voyants à la maison.
Depuis plus de deux décennies, la société Microsoft s’est dotée d’une équipe chargée de promouvoir et d’assurer l’accessibilité de ses divers produits aux handicapés, y compris aux aveugles. On pourrait donc supposer qu’après plus de vingt ans d’effort, Microsoft soit devenue leader dans le monde du logiciel accessible et que tous (ou au moins la plupart) des programmes qu’elle vend soit accessibles et utilisables par les aveugles. Il n’en est cependant pas ainsi ! Après vingt ans d’effort, cette équipe n’est toujours pas en mesure de jouer son rôle de gardien de l’accessibilité, en empêchant Microsoft de diffuser des produits d’une flagrante inaccessibilité. Force est de constater cette frustrante réalité : au sein de Microsoft l’action en faveur de l’accessibilité n’a pas reçu les moyens et l’influence nécessaires si l’on veut un jour atteindre l’objectif d’une accessibilité universelle. En d’autres termes, si un produit Microsoft est accessible aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il doit l’être ; il est accessible uniquement parce que l’équipe accessibilité a réussi à persuader un groupe chargé d’un produit spécifique de faire ce qu’il convenait pour le rendre utilisable par des personnes handicapées.
Actuellement, seul un faible pourcentage des produits Microsoft est considéré par les aveugles comme étant facile et intuitif à utiliser. Tel est le cas de l’Explorateur Windows (appelé Explorateur de fichiers sous Windows 8), l’essentiel de la suite Microsoft Office, Internet Explorer et plusieurs (mais pas toutes) les fonctions du système d’exploitation Windows. Même pour ces programmes réputés accessibles, l’accessibilité et l’efficacité se sont dégradées à mesure que de nouvelles versions des logiciels ont été publiées. Par conséquent, chaque fois que nous autres aveugles entendons parler d’un nouveau produit de Microsoft, nous ressentons un certain scepticisme quant à la capacité de ce produit à fonctionner avec notre technologie d’accès à l’écran et nous sommes agréablement surpris si, en fait, il s’avère que nous pouvons l’utiliser.
Voici sept exemples de la façon dont Microsoft est passé à côté de ce qui apparaît comme des objectifs d’accessibilité très réalistes. Lorsque vous considérez ces exemples, gardez à l’esprit que cette liste représente une infime fraction de la portée du problème et que bien plus de 80 pour cent des produits Microsoft restent inaccessibles aux utilisateurs non visuels..

• Un exemple concret de produit ne pouvant absolument pas être utilisé par les aveugles, mais demeurant cependant un élément essentiel du dispositif de sécurité utilisé en milieu professionnel est le logiciel BitLocker de Microsoft, qui assure le chiffrement complet du disque. BitLocker nécessite que l’utilisateur entre un NIP (numéro d’identification personnel) avant le lancement complet de Windows. Bien que des programmes concurrents en matière de chiffrement complet du disque aient offert la possibilité de générer un signal sonore pouvant être utilisé pour alerter l’utilisateur aveugle lorsque l’information doit être saisie, BitLocker ne propose pas une telle indication. Même après des années de réclamations insistantes et réitérées de la part des personnes aveugles afin que ce problème soit pris en compte par Microsoft, nous attendons toujours une version de BitLocker apportant une solution. Un employé aveugle ayant besoin d’utiliser un ordinateur sur lequel est installé BitLocker de Microsoft est dans l’impossibilité d’allumer l’appareil et de le faire démarrer et à fortiori de l’utiliser.

• Microsoft SharePoint, un programme utilisé par de nombreuses institutions (dont beaucoup emploient des aveugles), ne leur est pas pleinement accessible. SharePoint s’est révélé tellement frustrant pour l’utilisateur non visuel qu’un fournisseur tiers estime pouvoir vendre une solution basée sur un module complémentaire pour les grandes entreprises (État ou organismes fédéraux) dont le prix s’élève à $12.000 pour une licence mono-utilisateur. Si l’action de Microsoft en faveur de l’accessibilité avait porté ses fruits, un produit aussi largement utilisé que SharePoint serait déjà aussi pratique et efficace pour l’utilisateur non visuel que pour tout un chacun.

• Microsoft n’effectue semble-t-il aucune étude sur l’expérience des utilisateurs en vue d’améliorer l’efficacité de ceux qui ne travaillent qu’avec le clavier, dont les aveugles. Cela a déjà eu un impact négatif pour cette catégorie d’utilisateurs dans le correcteur orthographique de Word 2013, qui ne fournit plus de touches de raccourci pour accélérer la sélection des options lorsque des erreurs d’orthographe sont détectées.

• Microsoft a du mal à mettre en œuvre une API (interface de programme d’application) rendant plus facile l’obtention d’information sur les statuts de l’application, les messages et contrôles, à partir des logiciels d’accès à l’écran. Microsoft Active Accessibility (MSAA) et Automatisation d’interface utilisateur (UIA), deux exemples d’API d’accessibilité, ont bel et bien existé au sein du système d’exploitation Windows depuis de nombreuses années, mais apparemment peu d’efforts ont été faits pour résoudre le problème d’accessibilité. Même s’il est excellent que Microsoft ait travaillé dur pour faire en sorte que Windows Vista, Windows 7 et Windows 8 fonctionnent avec les versions mises à jour de logiciels d’accès à l’écran dès que ces systèmes d’exploitation ont été rendus public, il faut aussi reconnaître que, pour que cela ait été réalisé, les fournisseurs de logiciels d’accès à l’écran (de très petites entreprises par rapport à Microsoft) ont dû consacrer des ressources considérables pour rendre cela possible.

Il serait préférable que ces entreprises relativement petites puissent consacrer plus de temps et d’efforts à travailler sur des innovations améliorant l’efficacité et la productivité des utilisateurs aveugles grâce à leur logiciel.

• Durant des années Microsoft a laissé les aveugles sans accès aux téléphones Windows. Étant donné que les téléphones iOS et Android proposent une certaine forme d’accès non visuel depuis des années, cela nous paraît frustrant, sinon honteux. C’est d’autant plus décourageant quand on pense que, lorsque Windows Phone a été mis sur le marché en 2010, Microsoft a délibérément fait le choix commercial de ne pas inclure ou soutenir un lecteur d’écran pour la plateforme Windows Phone.

• Contrairement à ses principaux concurrents sur les plateformes pour ordinateurs de bureau et mobiles, Microsoft n’est pas parvenue à fournir un support intégré pour la connexion et l’utilisation des afficheurs braille sur ses diverses plateformes. Ceci est particulièrement problématique pour les utilisateurs à la fois sourds et aveugles pour qui les afficheurs braille constituent la seule façon d’interagir avec le logiciel de l’ordinateur. Le Macintosh et l’iPhone d’Apple prennent en charge divers afficheurs braille sans que le client soit obligé d’installer des pilotes spécifiques pour l’appareil et ces produits sont arrivés sur le marché bien après que Microsoft ait commencé à travailler sur l’accessibilité.

• La maintenance, l’installation et la restauration de Microsoft Windows demeurent toujours inaccessibles aux aveugles. Par conséquent, il en résulte un coût supplémentaire en temps et / ou en argent pour l’utilisateur aveugle qui doit transporter le matériel (et souvent payer) une assistance visuelle pour installer, mettre à jour ou réparer un système Windows. Cette situation est inacceptable, d’autant que les systèmes d’exploitation Apple OS X et iOS intègrent des outils d’accessibilité qui permettent à un aveugle utilisant un ordinateur d’effectuer la maintenance, la mise à niveau, et les tâches de restauration sans l’aide d’un voyant.
En outre, ce problème restreint la capacité des aveugles à accepter des emplois de soutien pour le système Windows dans la technologie de l’information.

Au fil des années, la Fédération nationale des aveugles (aux États-Unis) et l’Équipe accessibilité de Microsoft communiquent de façon active et continue, et année après année, nous avons fait part de nos frustrations et préoccupations à cette équipe. À de nombreuses reprises, lors de conventions nationales, j’ai rencontré, ainsi que d’autres dirigeants de la fédération des aveugles informaticiens, Rob Sinclair, directeur de l’équipe accessibilité de Microsoft. Bien que nos réunions soient très positives et notre relation avec M. Sinclair demeure extrêmement collégiale, force est de constater que nous voyons beaucoup plus de problèmes d’accessibilité avec des produits Microsoft que de victoires. Peut-être est-ce parce que, chez Microsoft (comme dans beaucoup trop d’entreprises), l’accessibilité continue d’être une question d’éducation et de persuasion et non un objectif à atteindre pour tout ceux qui travaillent au sein de l’entreprise. Il en irait tout autrement si Microsoft avait mis en place une politique exigeant l’accessibilité au lieu de simplement l’encourager.
Comme les produits Microsoft passent du poste fixe au nuage et que ses entreprises clientes évoluent dans le même sens, il est essentiel que les utilisateurs non visuels migrent avec eux ; nos emplois et notre indépendance l’exigent. Maintenant, la question clé est de savoir comment obtenir de Microsoft l’accessibilité et la convivialité généralisées pour tous, y compris pour les aveugles ?